Analyse signée BCA – Brand & Business Model Developer
Au Maroc, l’entrepreneuriat connaît une croissance soutenue, portée par une industrialisation rapide et une dynamique de création d’entreprises. Pourtant, un constat s’impose : les entreprises marocaines restent majoritairement focalisées sur l’aspect technique et la production, au détriment du business model et de la marque.
Ce phénomène s’explique par une culture économique où l’investissement tangible (infrastructures, équipements, matières premières) est privilégié par rapport aux actifs immatériels (stratégie de marque, relation client, marketing).
Résultat : beaucoup d’entrepreneurs développent des produits et services techniquement solides, mais peinent à les vendre et à les valoriser sur le marché. Pourquoi cette approche est-elle une impasse ? Comment les entreprises marocaines peuvent-elles repenser leur business model en intégrant une vision plus orientée marché ? Décryptage.
1. Un modèle économique focalisé sur la production et la technique
L’économie marocaine est historiquement ancrée dans une logique industrielle et de sous-traitance. Les secteurs dominants – automobile, textile, agroalimentaire, BTP – sont des industries où l’actif physique est roi. Cette mentalité s’est transposée à l’entrepreneuriat :
• Un entrepreneur qui investit dans des machines et des locaux est perçu comme sérieux.
• Un entrepreneur qui investit dans la marque et le marketing est souvent vu comme dépensier.
Ce biais impacte profondément la manière dont les business models sont construits. Beaucoup de dirigeants cherchent d’abord à produire avant de réfléchir à comment vendre, ce qui entraîne plusieurs pièges :
– Des offres mal positionnées : des produits techniquement performants, mais sans différenciation perçue par le consommateur.
– Un marché mal adressé : les entreprises développent des solutions sans étudier la demande réelle.
– Un manque de rentabilité : en l’absence d’une stratégie de marque forte, la guerre des prix devient inévitable.
Prenons un exemple concret :
Un entrepreneur marocain lance une gamme de cosmétiques bio. Il investit dans des laboratoires, développe des formules innovantes et met en place une chaîne de production. Pourtant, ses ventes stagnent. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas travaillé son branding, son storytelling et sa différenciation sur un marché ultra concurrentiel. Pendant ce temps, des marques internationales qui vendent des produits similaires à des prix plus élevés s’imposent grâce à leur image de marque et leur stratégie marketing.
2. L’Intangible, un frein culturel qui plombe la valeur ajoutée
Au Maroc, vendre un service est un défi. Contrairement à un produit physique, un service ne se touche pas, ne se stocke pas et ne se voit pas immédiatement. Cette intangibilité crée une résistance psychologique chez les entrepreneurs et les clients eux-mêmes.
• Un consultant en stratégie devra constamment justifier la valeur de son travail.
• Une agence de branding se heurtera à des clients qui demandent “Pourquoi investir autant pour un logo et un nom ?”
• Un formateur ou un coach devra convaincre que son savoir peut transformer un business, alors qu’aucun actif matériel n’est livré.
Ce manque de culture de l’immatériel impacte directement la structuration des entreprises. Investir dans une machine à 1 million de dirhams est plus facilement accepté qu’investir 500 000 dirhams dans une stratégie de marque. Pourtant, la machine seule ne garantit pas le succès, alors qu’une marque forte permet d’attirer et de fidéliser les clients sur le long terme.
La marque, un actif invisible mais essentiel
Une marque forte permet de :
• Créer une préférence chez les consommateurs : Apple ne vend pas que des téléphones, il vend un statut, une expérience et un écosystème.
• Justifier un prix plus élevé : une simple montre mécanique et une Rolex remplissent la même fonction, mais la seconde repose sur une puissance de marque qui lui permet de multiplier son prix par 100.
• Transformer un marché en communauté : Starbucks ne vend pas du café, mais une expérience qui fidélise ses clients.
Le Maroc possède des produits et services de qualité, mais faute de branding et d’investissement dans la valeur perçue, nos entreprises se retrouvent à jouer sur les prix plutôt que sur la différenciation.
3. Comment repenser le Business Model des entreprises marocaines ?
Si nous voulons que nos entreprises soient plus compétitives, elles doivent intégrer un business model qui place la marque au cœur de la stratégie. Voici trois axes d’évolution :
1. Adopter une Approche “MarketFirst” et Non “Product-First”
Plutôt que de développer un produit puis chercher comment le vendre, il faut partir du marché :
• Qui est mon client cible ?
• Quels sont ses besoins et ses frustrations ?
• Quelles marques influencent ses choix ?
• Quel positionnement me permettra de me différencier ?
Exemple : Dyson n’a pas commencé par fabriquer un aspirateur, mais par identifier les irritants du marché (perte d’aspiration, sacs à changer). C’est cette compréhension qui a guidé l’innovation et le branding.
2. Considérer la marque comme un pilier stratégique et non un détail
• Un nom et une identité visuelle ne suffisent pas, la marque doit incarner une vision et des valeurs fortes.
• Le branding ne doit pas être une dépense ponctuelle mais un investissement sur le long terme.
• La marque doit être le socle du business model, en influençant la relation client, la distribution et le pricing.
Exemple : Red Bull ne vend pas juste une boisson énergisante, il vend une identité audacieuse et un univers lié aux sports extrêmes. C’est cette marque qui lui permet de justifier un prix plus élevé que la concurrence.
3. Miser sur l’éducation du marché
Puisque l’intangible est mal compris, les entreprises marocaines doivent éduquer leurs clients sur la valeur de leurs services et de leur marque. Cela passe par :
• Des contenus pédagogiques pour expliquer leur différenciation.
• Une communication axée sur les bénéfices et non sur les caractéristiques techniques.
• Un discours clair sur la valeur ajoutée, à travers des études de cas et des témoignages clients.
Exemple : HubSpot, leader du marketing digital, a construit son succès en offrant énormément de contenu éducatif avant même de vendre ses logiciels.
Passer d’une logique de production à une logique de valeur
Les entreprises marocaines doivent évoluer vers des business models où la marque n’est pas un supplément, mais le moteur principal du succès.
Produire un bon produit ou un bon service ne suffit pas : il faut créer une perception, raconter une histoire et structurer une offre autour d’une marque forte.
Tant que l’investissement dans l’immatériel sera vu comme secondaire, le Maroc continuera d’être un sous-traitant économique, dépendant des décisions des grandes marques internationales. Mais si nous comprenons que la marque est un levier de croissance aussi puissant que la production, nous pourrons bâtir des entreprises capables de rivaliser sur les marchés globaux.
L’avenir du business au Maroc ne repose pas uniquement sur ce que nous fabriquons, mais sur ce que nous faisons ressentir à nos clients.
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